Maîtresse des souterrains (I)
par Flynn Lexton
Près des montagnes, là où Laslan et Gardepierre se rejoignent, au nord-ouest du désert du Clair de lune, se trouve une étendue de terre violemment retournée, comme si un ver des sables avait broyé le sous-sol rocailleux. Il s'agit de l'œuvre de la reine Bellandir, le ver alpha. Autrefois cachés, ces canaux ont été révélés après des années d'érosion, formant ici un pont, et là un labyrinthe. Je souhaitais voir ce lieu de mes propres yeux, alors je me renseignai auprès d'un marchand de champignons qui se rendait souvent à l'oasis du sanctuaire. C'est là que je rencontrai Bruno, un autre marchand.
"N'y allez pas ! N'y allez jamais ! Je sais de quoi je parle. J'ai tout perdu, là-bas. J'ai failli y perdre la vie, pour dire !"
Il m'expliqua que la reine Bellandir était le mal incarné. Se rendre dans l'habitat naturel d'un ver des sables revenait à signer son arrêt de mort. "Celui qui vous dit d'y aller parce que c'est un raccourci ou parce qu'il y a de l'argent à se faire est malhonnête !"
J'apportai une bière à Bruno, qui était à présent au bord des larmes. Au bout d'un moment, un vieux marchand se joignit à nous et réconforta Bruno, qui pleurait à chaudes larmes dans sa chope.
"Il faut comprendre ce pauvre Bruno : avant, il avait tout. Son affaire tournait bien, il possédait une centaine de chameaux. Il a tout perdu en une fraction de seconde. Y a de quoi devenir dingue !"
L'autre marchand s'appelait Diego, vieux briscard qui connaissait l'oasis du sanctuaire comme sa poche. Il me raconta comment la reine Bellandir avala en un instant les chameaux de Bruno et, avec eux, ses marchandises, ses rêves et ses espoirs. Maîtresse des souterrains (II)
Selon la légende, bien avant la naissance de Vénélux, cette région n'était pas un désert, mais un pré ! Un jour, cependant, un terrible sorcier venu d'une lointaine contrée jeta une malédiction sur ces terres, asséchant toutes les voies d'eau et, avec elles, ces terres fertiles. Les sorciers de Gardepierre obstruèrent les dernières voies encore alimentées d'une gigantesque pierre pour protéger le village de Vienta et le château de Gardepierre de la corruption charriée par les eaux. Mais la malédiction était bien plus insidieuse. Des araignées géantes apparurent, ainsi que d'immenses vers qui avalaient tout ce qui passait à proximité.
"Les habitants n'eurent d'autre choix que de prendre un long détour pour éviter ces dangers. C'est pour cette raison que nos caravanes ont vu le jour." "Pourtant, il y a bien des marchands qui se rendent à la fourmilière de nos jours, et des mercenaires qui éliminent les vers des sables."
Diego eut un sourire en entendant ma réponse.
"C'est à cause d'un incident qui s'est produit voilà une décennie. Depuis lors, les voyageurs sont devenus inconscients, traversant le désert sans crainte et affrontant les vers sans peur."
Dix ans plus tôt, une guilde nommée l'Ordre du cygne se lança dans une expédition pour obtenir un matériau rare. Ils étaient menés par une inconnue, une jeune femme du nom de Roen. Mais dans ses rangs, on comptait des membres d'exception, notamment Clay, le sorcier prodige, ou encore Gerad, le célèbre chevalier d'argent. Maîtresse des souterrains (III)
"Ils s'attaquèrent aux vers qui terrorisaient toute la population. Sauf que, bien évidemment, elle se manifesta."
Il parlait de la reine Bellandir, monarque des vers des sables. Elle fracassa le sol dont elle émergea en avalant quelques combattants, y compris Roen.
Et c'est là que quelque chose de merveilleux se produisit. Une lueur violette crût depuis la panse de la reine Bellandir, et Roen la transperça avant de prendre son envol sous la forme d'un phénix.
"Jamais je n'y aurais cru si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux."
Étonné de ce détail, je lui demandai ce qu'il faisait là-bas. Il était de passage pour faire affaire à une oasis non loin. Le vieux marchand ajouta dans un rire :
"Quand on est colporteur, si on tient à vivre vieux, il faut savoir éviter le danger tout en restant assez prêt pour en saisir les opportunités."
Le nom de Roen me paraissait familier. J'allais demander plus de détails sur cette femme à Diego lorsqu'il se leva en faisant un signe de la main, comme pour dire qu'il n'en dirait pas plus.
Et puis il s'en alla avec Bruno qui ronflait sur la table. Tout le monde n'avait de cesse de me mettre en garde contre les vers des sables. Le récit de Diego était peut-être saupoudré de fanfaronnade, mais il fallait quand même que je l'entende. Me serait-il possible alors de documenter la vie des vers des sables en toute sécurité si j'accompagnais ceux qui cherchaient à les occire ? Si jamais je ressors vivant d'une rencontre avec un ver des sables, je ne manquerai pas d'en faire un livre, afin que tous mes lecteurs comprennent à quel point ces créatures sont des êtres majestueux. Maîtresse des souterrains (IV)
J'ai survécu ! Quelle expérience ! Je m'en suis sorti d'un cheveu, mais ça en valait la peine. Je songe même à relater l'expérience dans une autobiographie plutôt qu'une revue sur les monstres. Mais quels mots puis-je employer pour décrire la splendeur et la majesté des vers des sables ? Mes compagnons n'ont pas réussi à exercer leur vengeance. Cependant, les illustrations de Regina Lehman, qui était avec nous, sont incluses dans le livre. |